Après plus de 6 ans d’activité, j’ai décidé d’arrêter de jouer à la Camarilla.
Cette décision a été prise après une réflexion de plusieurs mois, et qui comporte différents éléments théoriques qui peuvent être intéressants à partager ici.
Rappel du jeu
Un petit résumé pour ceux qui ne connaissent pas la camarilla, ou plus précisément la Fédération Camarilla française.
Il s’agit d’une association qui permet de jouer à un semi-GN en chronique. C’est à dire que les joueurs interprètent un même personnage d’une partie sur l’autre, au cours de parties régulières (tous les 1 ou 2 mois). Il s’agit d’un semi-GN car une partie est avant tout une soirée mondaine, où les interactions seront majoritairement sociales, et donc sans mécaniques à appliquer (à la manière du théâtre d’impro). Mais ponctuellement, le personnage peut être amené à réaliser des actions que le joueur ne veut/peut pas faire (combat, surnaturel), ou même à quitter la soirée pour faire des actions à l’extérieur. Dans ce cas, le joueur sort de l’interprétation du personnage, et applique des mécaniques.
Le jeu se déroule dans l’univers de Vampire la Mascarade, dans la France du Monde des Ténèbres, à notre période.
Le propos est de « jouer des vampires torturés par leur nature, impliqués dans des intrigues de cour byzantines dignes de Louis XIV, au sein d’un univers sombre et violent ».
L’association est une fédération qui regroupe plusieurs associations implantées dans des villes différentes, qui animent des parties qui dans la fictions se déroulent dans ces villes, au sein d’une même chronique. Les actions des personnages sur une ville peuvent influencer les autres villes, et les joueurs peuvent aller jouer d’une ville à l’autre.
Les problèmes rencontrés
Le premier point est le refus de couvrir plus loin les erreurs HRP d’autres joueurs/conteurs. On y parlera de freeplay.
Le deuxième point est la constatation de la suppression d’un plan entier de jeu, sur lequel repose les interactions politiques et sociales des personnages.
Freeplay
Pour ceux qui ne connaissent pas cette notion, en vulgarisant on peut dire que cela consiste à, en tant que joueur, broder et improviser, pour que le personnage, qui est censé avoir une réponse, puisse le faire même si le joueur ne l’a pas, afin de fluidifier le jeu, et éviter de l’interrompre pour récupérer la réponse auprès d’un MJ¹ .
Dans la plupart des cas cela se fait sans accroc. Quand on demande à un Toréador “Quel est votre artiste polonais préféré ?” l’interprète peut répondre “C'est Gergory Zuvansky, une des peintres impressionnistes de l'école de Cracovie”. Ça alimente la conversation qui reste fluide, les interlocuteurs peuvent rebondir, mais ça n'aura aucune conséquence. Peu de chance que les MJs aient prévu un protagoniste du nom de Gergory Zuvansky, peintre à ses heures perdues…
De même, on peut demander à un perso martial « vous vous entraînez avec des katas ? » et le joueur peut improviser « oui, notamment le kata de l’oie furieuse ».
Ou encore, à un occultiste : « Faut-il des pissenlits pour un rituel démoniste ? », avec par exemple pour réponse « Pas forcément, on peut les remplacer par des gentianes. »
En fait non. Le dernier cas n’est pas conseillé, car peut-être que les Mjs ont effectivement laissé des traces de rituels et attendent que les joueurs les analysent, avec une grille de lecture précise, qui ne peut pas être improvisée.
Dans un jeu dont l’occulte est une composante importante de l’univers, qui est utilisée comme moteur de gameplay, on ne peut pas freeplayer dessus.
Quand le personnage occultiste est confronté à une question sur ce domaine, le joueur a 3 choix :
- Freeplayer, au risque comme on a vu de mettre en l’air un scénario au pire, d’être contredit par les MJs au mieux. Dans tous les cas, ruiner la cohérence. Donc à ne pas faire.
- Interrompre la conversation pour aller demander à un MJs. Cela bloque le jeu et est contre-immersif. À déconseiller.
- Botter en touche, pour ne pas répondre. “Vous n'êtes pas habilité à connaître la réponse / L'étude est en cours et prendra encore 3 mois”. Mais c’est au détriment du personnage, qui passe soit pour un incompétent, soit un comploteur. À tord, et pour des raisons entièrement artificielles et HRP.
Par soucis de cohérence, et car je mets la fiction avant mon plaisir de jeu, j’ai choisi la 3ème voie, ce qui a pourri mon personnage.
Pour des raisons HRP, pour couvrir des lacunes dans la gestion de l’occulte, ainsi que pour tenter de réparer le deuxième point que je présenterai plus bas, la situation de mon personnage s’est détériorée. Inutilement et de façon inintéressante.
Si je veux mettre mon perso en difficulté, je sais le faire tout seul, avec des raisons narratives et dramatiques, avec des ressorts intéressants, avec des prolongements passionnants, comme par exemple une décision récente, réfléchie et calculée à l’encontre de mon clan que je ne veux pas spoiler ici, mais qui peut mettre mon personnage en danger de mort. Mais une situation de plus en plus dégradée à force de m’obliger, par bienveillance, à mettre des pansements à chaque voie d’eau HRP, une boule au ventre à chaque partie en me demandant comment je vais pouvoir encore contourner ces problèmes qui ne sont pas de mon fait, sur lesquels je n’ai pas la main et que j’ai remontés depuis des mois² : ça suffit au bout d’un moment .
À occulter
J’en profite pour un aparté important :
On réalise qu’en fait, jouer des enquêtes occultes n’est pas adapté au semi-GN la Camarilla.
Le principe de la Camarilla est de jouer les interactions entre personnage durant une soirée. Les enquêtes se font donc soit en sortant de la salle et du personnage pendant la soirée, en accaparant quelques dizaines de minutes un MJ, et en faisant du JdR sur table pour des actions en temps réel (insuffisant pour une enquête), soit, et en complément, entre les parties avec des actions à transmettre aux MJs. Cependant, là aussi cela va être très limité : contrairement au JdR sur table, où l’interaction se fait directement avec le MJ, dans le cadre de la Camarilla les joueurs rencontrent des latences énormes, dues aux fait que les MJs ont une vie, ne sont pas à disposition des trop nombreux joueurs entre les parties (l’engagement concerne les parties en elles-même), et que des échanges asynchrones sont forcément plus lents. Et donc on se retrouve avec 2 ou 3 allers-retours, de quoi remonter une piste et demi. Alors que dans la fiction, cela pourrait se régler en moins d’une semaine, et en JdR sur table en moins de 3h.
À la limite, donner un gros sac d’indices et laisser au joueur le soin de faire ses déductions d’ici la prochaine partie, ça peut fonctionner, dans un univers réaliste où player skills rejoignent character skills.
Mais dans le World of Darkness (l’univers de Vampire), il faut rajouter l’aspect occulte, qui entraînent des allers-retours inutiles supplémentaires. « Tu trouves des traces de sel. » « OK… qu’est-ce que ça signifie côté occulte ? ». « Ça peut-être des restes d’un rituel de protection, ou le résidu d’un golem de sel. » « Et… donc ? Comment savoir ? » « La réponse est peut-être dans le Sefer Ha Zohar. » « OK… Mon perso le connaît par cœur, donc que sait-il ? » « Que si c’est un golem de sel, il devrait y avoir une influence de Yesod. » Ad nauseam… Là où une enquête « classique » peut permettre au joueur de faire ses propres déductions (« Il était à Lyon à 11h, impossible pour lui de se retrouver à Melun à 11h10 »), dès que l’on rajoute la composante occulte, cela devient à 100 % des capacités du personnage et non plus du joueur, ce qui impose une dépendance au MJ. Pour du JdR sur table, ça passe. Pour du semi GN, ça casse.
Le statut
Le deuxième point concerne une notion de l’univers de jeu, qui a des impacts essentiels côté gameplay : le statut.
Utilité pour la cohérence de la fiction
Au sein de la Camarilla, société pluricentenaire, rigide et implacable, aux mains des plus anciens vampires, le statut est une hiérarchie et son échelle de prérogatives qui permettent aux cours camaristes de fonctionner, en imposant aux plus jeunes le pouvoir des plus âgés.
Il faut bien distinguer 3 notions liées mais distinctes : le statut, le poids politique, et le respect.
Le statut est une sorte d’étiquette publique et officielle. Tel nouveau-né est bailli (un poste d’officier), il a donc le statut associé à celui d’un officier. Tout le monde est au courant, et doit, en positionnant son propre statut face au sien, adapter son comportement officiel.
Par contre, ce nouveau-né peut, par divers chantages, contrôler les actions et votes de la majorité de la cour, et ainsi avoir un poids politique considérable. S’opposer à lui devient risqué. Mais cette information n’est pas forcément officielle et connue de tous, et la notion de poids politique est plus floue et fluctuante.
Et en plus des considérations précédentes, même si un simple nouveau-né doit manifester du respect public pour ce bailli dont le statut lui est supérieur, même s’il doit le respecter pour ne pas le courroucer et risquer de se prendre un retour de flamme de ses appuis politiques , rien ne l’empêche de ne ressentir aucun respect pour lui. Mais c’est alors une 3ème notion, complètement privée, et qui peut varier drastiquement, en fonction des actions de l’interlocuteur.
Ces 3 notions sont liées (le statut donne un poids politique, et impose du respect), mais peuvent évoluer indépendamment, comme les exemples précédents le montrent.
Le statut est donc un positionnement hiérarchique déterminé, public, fixe à un instant donné, objectif, indépendant du contexte³, et toujours comparable avec celui d’un autre.
N’importe quel personnage qui a suivi l’éducation camariste peut comparer son statut avec celui d’un autre, et donc adapter son comportement. N’importe quel troisième personnage éduqué peut jauger si ce comportement est adapté ou non, et dans ce dernier cas, constater ce qu’on appelle un bris de statut (un délit sanctionné).
Le statut permet le bon fonctionnement de la cour grâce à l’autorité associée. Par exemple, un prévôt (autre officier, rôle de responsable des enquêtes), peut réquisitionner un simple nouveau-né pour une opération. Si ce dernier refuse, c’est alors un bris de statut. C’est donc le statut qui permet au prévôt de s’imposer face à son interlocuteur.
Le statut permet également aux vampires les plus âgés d’imposer leur contrôle aux plus jeunes. En effet, il y a un statut d’âge, qui surclasse tous les autres statuts, c’est à dire qu’un ancien aura toujours plus de statut qu’un nouveau-né, peut importe le nombre de postes d’officiers qu’il possède. C’est la façon dont la Camarilla se garantit l’obéissance des plus jeunes.
Enfin, le statut est la base de la justice vampirique, dont le principe est l’accusation avant les preuves. Si un vampire d’un statut supérieur à son interlocuteur l’accuse d’un crime, alors ce dernier est considéré coupable, jusqu’à avoir réussi à apporter la preuve de son innocence à quelqu’un de statut supérieur qui pourra contredire son accusateur. Ceci permet aux anciens vampires de rester intouchables, ainsi que de pouvoir disposer des jeunes vampires comme ils le souhaitent.
Utilité pour le jeu
Du point de vue gameplay, le statut est un excellent moteur de jeu, comme le sont souvent les échelles hiérarchiques (j’en ai déjà parlé sur ce blog).
En effet, le statut entraîne des dilemmes narratifs, et des phases de jeu complètes. Par exemple, vous êtes convaincu du crime d’un Ancien ? Les preuves accumulées sont elles suffisantes pour faire avouer le coupable, ou attendez-vous à un déni ? Dans ce cas, qui aurait suffisamment de statut pour s’opposer à cet ancien et pourrait vous soutenir si cela correspond à ses objectifs politiques ? Ou alors vous voulez accuser un officier d’un statut supérieur, mais ne trouvez pas de soutien ? Alors manœuvrez pour vous aussi être nommé officier, ou pour forcer un remplaçant à son poste.
De plus, le statut entraîne un jeu politique pour acquérir ce statut et son pouvoir associé, et pour grimper dans les échelons de la hiérarchie. Cela ne fonctionne que grâce au côté public et officiel du statut. Le prévôt veut faire une perquisition chez vous ? Prenez un poste d’officier supérieur pour lui opposer un refus le temps de faire du nettoyage.
Et le troisième intérêt du statut pour les joueurs est l’ambiance de cour de salon qu’il induit. Les soirées jouées sont feutrées et pleines de déférence, régies par une certaine étiquette. Or c’est le statut qui structure les différents rapports sociaux. Oui vous avez le droit de couper la parole à ce jeune paltoquet car il a moins de statut que vous. Oui, la pique sur l’incompétence du sénéchal sera acceptée et appréciée car vous avez autant de statut que lui. Si un Primogène ou le bailli veulent discuter avec vous en privé, oui vous devez commencer par le premier, car il a plus de statut. Un ensemble de règles au final assez simple à respecter, car alignées sur le statut (encore une fois, grâce à son caractère public et objectif). Il y a même un poste d’officier, le Maître des Harpies, chargé notamment de vérifier que le statut est bien respecté de la sorte, et de sanctionner les fautifs.
Le statut contribue donc à soutenir l’un des aspects du propos du jeu, celui d’un jeu social dans une ambiance de cour monarchique.
Résumons. Le statut a un intérêt diégétique : organiser et régir la société des vampires, en s’assurant de son contrôle par les anciens. Et 3 intérêts extradiégétiques : offrir du jeu pour le contourner, soutenir le jeu politique pour l’acquérir, et favoriser le jeu social en servant de boussole pour les interactions.
Supprimer le statut, et comme on va le voir, tout s’écroule.
Quel statut pour le statut ?
Je vais commencer par émettre une supposition sur une constatation. Depuis quelques années, on remarque qu'au sein de la Camarilla un certain courant de pensé est devenu majoritaire. Celui-ci se rattache à un jeu accès sur les caractéristiques chiffrées du personnage, avec la mise en place d’un nouveau système de jeu lourd, complexe (près de 400 pages), et paradoxalement troué⁴. L’argument moteur de cette migration était d’aboutir à un jeu équilibré, ce qui est absurde : la notion d’équilibre n’a de sens que dans un jeu où le but est de gagner, ce qui a minima impose une condition de victoire. Il n’y en a pas en Camarilla. Par contre, ce nouveau système de jeu favorise les actions hors salle (le mode JdR sur table) et inter-parties, au détriment du jeu en salle (pourtant propos initial). Et ultime défaut, il ne se contente pas de codifier un système de jeu, mais embarque des bouts d’univers, ce qui fait que cette migration entraîne des incohérences : dans la fiction, tel rituel disparaît, tel pouvoir n’a plus les mêmes caractéristiques… sans aucune explication.
Bref, une erreur que je ne détaillerai pas davantage ici, ce n’est pas le sujet. Mais je l’évoque car je pense que ce désir (peut-être inconscient) de s’éloigner du jeu politico-social peut avoir un rôle dans la destruction du statut que j’explique maintenant.
Fin des suppositions, repassons dans le factuel.
Les MJs ont décider de réformer la notion de statut, en en cassant les éléments essentiels.
Le point principal, le seul dont j’ai besoin pour dérouler l’argumentaire, est la fin du caractère public et objectif du statut. Désormais il est fluctuant, dépendant du contexte, dépendant des personnages présents, dépendant du bon vouloir d’autres personnages.
On ne peut plus dire à un autre personnage qu’on refuse de lui parler avec l’assurance d’avoir plus de statut pour justifier cette attitude, on ne peut plus accuser ou réfuter une accusation en fonction du statut, on ne peut plus magouiller pour acquérir plus de statut que son voisin puisque ce n’est plus une notion comparable.
Voyons plus en détail comment les 4 intérêts du statut précédemment listés sont désormais dépossédés. À noter que j’ai présenté ces conséquences aux MJs en question, et qu’ils les assument, avec des développements que j’intègre dans les constats.
Dans la fiction, le fonctionnement de la cour ne repose plus sur le Statut mais directement sur le poste. Le prévôt peut faire une perquisition chez un Ancien. Ce dernier ne peut plus lui opposer son statut, mais sa force brutale ou son poids politique. Je ne dis pas que tous les officiers vont commencer à rouler sur les anciens. Mais ça change fondamentalement la nature du respect des jeunes envers les anciens : il ne faut plus leur obéir car ils sont anciens, mais car ils sont puissants. Une sorte de migration de l’essentialisme vers l’existentialisme. Ça peut rester cohérent dans l’absolu, mais la démarche pose trois problèmes.
Premièrement, ce changement n’est ni évoqué, et encore moins justifié dans la fiction. Personne n’a décrété que le prévôt pouvait désormais perquisitionner chez tous les habitants du domaine. Les joueurs sont au courant (ou vont l’être prochainement quand ce sera écrit noir sur blanc), mais pas les personnages.
Deuxièmement, cette nouvelle philosophie existe déjà dans l’univers de Vampire, c’est celle des anarchs (un groupe dissident, je vulgarise), qui basent leur hiérarchie sur le mérite plutôt que l’âge.
Troisièmement, toute la justice vampirique reste basée sur le statut, et son caractère public et objectif. Cela n'a pas été revu. Il y a donc une incohérence directe qu’il va falloir régler, a priori en modifiant le fonctionnement de la justice, avec la série d’annonces pour que les personnages soient au courant. Dans le meilleur des cas (ce dont je doute fortement)...
Concernant le moteur de dynamique de jeu : plus besoin de contourner le statut, puisqu’il se contourne tout seul. Le statut ne peut plus être opposé à une action puisqu’il peut être contesté et ignoré. Le moteur se noie...
Pour le jeu politique, là encore, plus aucune motivation à grappiller du statut, pour deux raisons : premièrement, comme vu plus haut il est désormais inutile. Deuxièmement, car il est volatile : vous avez le statut d’un officier supérieur ? Peut importe, ça ne veut rien dire ce soir car le contexte particulier l’annule.
On m’avancera que l’on peut faire du jeu politique sans hiérarchie officielle. Ne vous inquiétez pas, j’ai quelques arguments.
Oui on peut, comme dans la vraie vie, mais alors on passe sur du temps long, sur des effets sur 10 ans, sur des phases où on garde la tête baissée pendant 5 ans avant d’avoir un retour d’ascenseur. Et ça, encore, c’est à l’échelle humaine. Ramenée aux vampires l’unité est la décennie. Sauf qu’ils sont interprétés par des humains qui n’ont pas envie d’attendre 20 ans d’avoir un effet sur leurs actions.
C’est pour ça que dans tous les JdR où la politique est importante, on peut toujours en déterminer une échelle hiérarchique. Les grades à INS/MV, la féodalité de L5R, associée au Bushido…
Un ami me fait remarquer que si le statut est beaucoup moins utilisé en JdR sur table, cela tient à deux grandes différences avec le GN. D’abord, sur table, avec un nombre limité et déterminé de joueurs, le MJ peut orienter l’histoire sur leur personnage, quitte à accélérer les changements ou même à mettre en place les conditions particulières de leur déclenchement. Ensuite, la temporalité est contrôlée, et des ellipses peuvent avoir lieu pour accélérer la situation, permettant de mettre en scène des intrigues sur des décennies ou des siècles.
Revenons au GN, et un autre point. Ces structures permettent de contourner un problème statistique : si on retire le statut, et que la politique ne se fait que via soutiens officieux, alors un membre du clan Brujah, dans une cité au Prince Brujah, dont 40 % des habitants sont également Brujah, aura plus de poids politique qu’un membre du clan Tremere, seul représentant de son clan. Si l'interprète de ce dernier cherche du jeu politique, il faut le prévenir qu’il va falloir attendre un renouvellement démographique, car non, le vœux pieux de « savoir se rendre indispensable » ne fonctionne pas dans un tel déséquilibre de force (sans compter que les autres personnages ne sont pas stupides).
Alors que le statut (encore une fois, différent du poids politique), assure à au moins un membre de chaque clan d’avoir un statut élevé (celui de Primogène, le représentant du clan), qui pèse dans les décisions de la cité.
Pour le jeu social, là encore problème. On se retrouve sans moyen de jauger si un personnage a plus de statut qu’un autre. Donc plus aucune pique acerbe (comme on peut en retrouver dans le film « Ridicule », pourtant cité en modèle) car le risque d’avoir commis un bris de statut sans le savoir est trop grand, et a contrario, des grossièretés peuvent passer et ne pas être sanctionnées, car personne ne peut constater le bris. L’étiquette est de moins en moins respectée, et les discussions de cour se concentre avec nos « alliés », sans conflits, les autres n’abordant plus que des enjeux externes (PvE au lieu de PvP).
C’est ce que j’ai pu constater dans la ville où je jouais, où pour diverses raisons ce changement de statut était appliqué, et où le contraste était saisissant entre les dialogues avec les autres résidents, opposés à ceux avec les visiteurs d’autres villes qui jouaient encore avec le statut.
J’ai écrit plus haut « personne ne peut constater le bris (de statut) », car j’ai laissé de côté un cas. Avec la réforme du statut, maintenant, seuls deux personnages peuvent constater les bris de statut. Le Prince (qui est un PNJ), et le Maître des Harpies, dont le rôle est dorénavant étendu à celui de fixer le statut d’un individu. Il se retrouve donc dans les bottes d’un gendarme qui verbalise un automobiliste en inventant une limitation de vitesse puis qui applique la sanction. C’est absurde, et du point de vue diégétique entraîne un grand chaos qui est contraire aux fondements statiques et immobilistes de la Camarilla. Du point de vue gamedesign c’est aussi un désastre, en réservant tout le jeu de statut à un seul joueur. Sans parler des latences que peuvent prendre les traitements de « litiges » que seul un joueur (avec son droit d’avoir autre chose à faire) peut trancher⁵.
En conclusion : cette réforme du statut entraîne des incohérences de continuité et de structures dans la fiction, retire une dynamique de jeu intéressante, ainsi qu’une grande part de l’aspect politique et social des parties.
Le jeu qui en résulte a forcément ses fans. Mais pour moi qui était aligné avec le propos initial, et qui cherche cohérence, politique et social, c’est un zéro pointé.
Je ne désespère pas de voir un jour un retour d’une majorité de joueurs intéressés par l’interprétation, les intrigues de cour et les discussions de salon, bref un retour au propos du jeu. Ils parviendront sûrement à restaurer le statut et j’aurai plaisir à revenir jouer. Avec un nouveau perso, ou mon perso actuel, parti faire sa vie à l’étranger devant la dégradation de la société vampirique de France (cohérence jusqu’au bout).
Notes
¹ : tout au long de l’article je vais employer MJs pour nommer le détenteur de l’autorité fictionnelle, pour rester générique auprès d’un public qui ne connaît pas forcément le monde de Vampire la Mascarade, mais en fait c’est le terme de « conteur » qui est utilisé. Que les camaristes n’en soient pas choqués !
² : je n'avais peut-être pas assez détaillé la profondeur du problème aux MJs pour les « épargner » (satané bienveillance). En effet, ils travaillent depuis la rentrée en effectif réduit suite à une démission, à 2 dont l’un fait 3h de route pour se rendre sur place. J’estimais qu’ils avaient d’autres priorités.
³ : sauf une exception (le Fouet), qui est nécessaire au bon fonctionnent des rouages de la société vampirique, mais que je ne détaillerai pas ici.
⁴ : selon ce système de jeu, lorsqu’un mortel est transformé en goule il oublie toutes ses langues sauf sa maternelle, à chaque fois qu’un personnage utilise une discipline (un « pouvoir magique ») sur un autre personnage lors d’une partie il doit arrêter la scène et prévenir tous les autres joueurs de la pièce aux cas où ils auraient la compétence Vigilance permettant de détecter cet usage, etc.
⁵ : j’ai vu du plusieurs mois sur ma ville...
#GN #Camarilla